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Au fil de mes abandons et de mes (nobles) révoltes
23 septembre 2010

Spiritualité de l'auto-stop

Ranger la tente humide, prévoir de la faire sécher s'il y a un endroit au soleil, mettre son sac sur son dos, rejoindre la route, choisir un bon emplacement. Tout cela se fait de manière très mécanique en acceptant les difficultés propres au matin qui nous est donné. Accepter surtout. Ca, ce n’est pas si naturel, c’est le début d’une lutte spirituelle qui ouvre d'autres perspectives. A la fin de mon voyage, des jeunes étudiants expérimentés dans l’art de l’auto-stop me demandèrent pourquoi je n’avais pas été voir directement les automobilistes sur les parkings pour qu'ils me véhiculent, pourquoi j’attendais comme cela au bord de la route, avec ma pancarte. Je dois avouer que cela ne m’est jamais venu à l’esprit avant qu’ils ne m’en parlent. Je ne l’ai fait qu’en cas d’extrême besoin, les trop nombreuses fois où j’ai perdu l’espérance. Le reste du temps, il me semblait naturel d’attendre là, avec ma pancarte, attendre que quelqu’un veuille bien m’accepter. Pour avancer, il me fallait cette certitude que des automobilistes seraient attentifs à moi sur le bord de la route. Sinon à quoi m'aurait servi de continuer le chemin, si personne n'eut voulu faire attention à moi, si l'inconnu que j'étais n'eut pas été empli de la certitude qu'on lui tendrait une main. Je voulais faire confiance à l'humanité pour continuer et j'étais persuadé que le stop était un bon exercice pour reconquérir une confiance qui me faisait défaut dans ma vie ces derniers temps. Le but de mon voyage se révéla progressivement à moi : accepter de m’en remettre aux autres, totalement, de faire confiance en la générosité de mes prochains sans juger ceux qui s’arrêtaient ou pas. Les voitures sont passées et nombreuses ont été celles qui sont restées indifférentes à mon égard., qui n’imaginaient même pas pouvoir prendre un auto-stoppeur. Mes jeunes étudiants, comme tous ceux qui s’arrêtaient, étaient accaparés par cette question : que pense l’automobiliste qui s’arrête ou qui ne s’arrête pas, que pense celui qui s’est stationné et qui veut prendre l’auto-stoppeur (ou qui ne veut pas le prendre). A aucun moment ils ne se sont demandé ce qui trottait dans la mienne. J’étais l’étranger, j’avais le droit d’être différent. Ou bien, j'avais besoin d'argent... enfin ils me comprenaient. Aussi bizarre que cela peut apparaître, ils avaient tous le sentiment diffus de me comprendre. A chaque fois, un mot est revenu : courage. J’étais courageux d’attendre là durant des heures parfois. Ils sentaient une espèce de courage en moi..Qu’est-ce que le courage sinon le résultat d’une résistance à des sentiments négatifs dont ils m'imaginaient submergé ? Moi, ce n’est pas le courage qui m’habitait mais tout autre chose. Et jamais ils ne me posèrent la bonne question, bien qu’ils comprissent instinctivement le jeu intérieur qui me tint. Au lieu de poser la question de mon courage ou de la gentillesse des automobilistes, il aurait fallu que la conversation nous mène à mon inhumanité, à ma fragilité et à la lutte qui m’habitait. Mais point de cela dans leurs questions, point de mots pour décrire leur étonnement remplacé par un imaginaire exotique. Cela ne semblait pas assez réel, pas assez croyable. Un autre avait choisi de s'entrainer à vivre en faisant de l'auto-stop. La pudeur empêche parfois l’expression. Cependant, intuitivement empathiques à mon égard, sûrs de ma différence, sûrs de me comprendre également, et surtout, certains que je ne les jugerai pas trop, moi qui me positionnait comme le plus petit d'entre nous, ils me parlèrent de leur propre vie, de leurs propres croyances. Et anticipant quelque chose de grand et d’unique en eux, je les écoutai, ne sachant pas trop quoi répondre, je parlais de ma courte vie et de mes expériences dans l’obscurité, n’employant pas les mots justes par gêne, ou par ignorance également. A de rares moments à l’intersection d’une phrase furtive, nous réussîmes à nous comprendre. Fiat lux entre l’étranger et moi, et l’amour qui s’en suit qui inonde notre compréhension du monde et le restant de notre vie. Ceci, vous le connaissez bien. La magie d'une rencontre. Et ce n’est pas l’histoire que j’ai envie de vous raconter. Je voudrais vous raconter comment l'auto-stop a élargi ma spiritualité, comment l'auto-stop a été une lutte qui m'a mieux fait comprendre ma propre vie et l'histoire des sentiments qui m’ont habité durant cette lutte. Rencontrer l’autre ne peut se faire qu’à travers une lutte. Aujourd’hui, je juge que notre société n’est plus en mesure de mener cette lutte, qu’elle n’y croit plus tandis qu’elle s’enfonce dans la dépression. Nous n’y arriverons pas sans nous battre ensemble, et sans reconquérir la conscience de notre propre interdépendance, non pas pour changer le monde mais pour nous changer individuellement . Et le stop est un moyen de se mettre en inter-dépendance, et en situation de faiblesse. Le stop nous révèle notre propre nature et nous la fait accepter. Le stop est une forme de provocation envers le conducteur au bord de la route. Le conducteur doit répondre aux nombreuses questions qui s'impose doit y répondre assez rapidement pour prendre l'autostopeur. Provocation à l'amour et à l'interdépendance.
Une foule d’imbéciles n’a jamais fait qu’une masse d’idiots. Les groupes qui changent le monde ne peuvent le faire qu’animés individuellement par la grâce. J’ai trouvé une grâce en voyageant. La grâce qui était en moi s’est révélée un peu plus en devenant un mendiant de la route. C’est de cette grâce dont je voudrais m’entretenir. Quand l’homme n’en peut plus et qu’il s’en remet à Dieu, il y a toujours un homme pour venir l’aider. Je le sais car je n’étais qu’un être humain, seulement un être humain pour ces gens, si peu identifiable, si courtement communiquant, et pourtant il y a eu une foule pour s'arrêter. A travers ce voyage, j’ai expérimenté deux notions qui nous ferait revivre dans notre société individualiste, mais dont nous ne voulons plus entendre parler : l'abandon et l'interdépendance.


D’abord il y a la force et la fraicheur quand on commence le matin, et la certitude de la veille. Nous avons été véhiculé, pardon, nous avons été aimés, alors nous avons la certitude que nous serons de nouveau aimés en ce jour qui commence. Et parfois, cela arrive vite, oui, nous sommes encore aimés et nous allons plus loin. Mais ces moments ne sont pas de l’ordre de la lutte. Seulement de la grâce. Quand le client se fait attendre, quand les voitures défilent les unes après les autres, que les gens ne vous regardent plus, que la pluie se met à tomber et le vent à souffler, que le corps crie, il faut bien faire ce constat de notre propre fragilité. Et pas question de rejeter la faute sur l'autre, sinon à s'aigrir. Petit, je me suis tenu debout autant que je le pouvais, puis abandonnant, m’asseyant au bord de la route, abandonnant, il arrivait parfois que quelqu’un s’arrête qu'en même. Ou fatigué et affamé, je cessais parfois le stop quitte à perdre des conducattentionnés (il n’y a pas de mot valable pour ceux qui prennent un auto-stoppeur) faisant confiance à Dieu pour prendre soin de moi. Vous ne serez pas surpris de savoir que souvent, je fus pris immédiatement après m'être reposé. Comme si tout devait se tenir dans la confiance et dans l’abandon, comme si tout devait se faire de manière naturelle. Il ne sert à rien de lutter contre les circonstances et de se crisper. La crispation entraine le recul chez les conducattentionnés, la crispation fait peur. Alors que celui qui se crispe est celui qui aurait le plus besoin que quelqu'un s'arrête, il sera celui qui recevra le moins d'amour (ceux qui ont reçu beaucoup recevront encore plus). En effet, il y a une règle très importante en amour. Pour aimer, il faut qu'il y ait de la place pour l'autre. Et la crispation emplit l'air de la douleur de celui qui se crispe. Cette douleur prend toute la place et elle fait peur. Celui qui veut entrer dans une relation d'amour, en voyant une personne crispée, au lieu de l'approcher, s'en écarte irrémédiablement. Il se dit que la personne en face n'est pas capable de respecter sa propre personne et il a raison. Il a raison de vouloir être respecté et il a raison quand il pense que la personne qui se crispe est incapable d'échanger, échange qui est le propre de la relation amoureuse. Avant de pouvoir faire une rencontre, la personne crispée doit d'abord soigner son malêtre. Sinon celui-ci occupe tout l'espace de la relation. Mais pour abandonner sa crispation, il faut avoir une totale confiance. Cette confiance totale ne s'acquière qu'auprès de Dieu, car aucun être humain ne peut trouver en lui seul la force de donner sans aucun retour. La très grande majorité de ceux qui s'arrêtait, était croyante, la majorité était pratiquante, et la très très grande majorité, en questionnement. L'auto-stop dans sa forme la plus parfaite, peut se concevoir comme la rencontre de deux personnes qui ont cultivé leur spiritualité. Un catholique s'imaginera aider son prochain et pour lui, il ne sera nul besoin d'être aimé en retour, au summum de sa spiritualité. En ce cas l'autostop réintroduit dans le monde, non plus seulement un principe d'amour échange, mais la notion de don total, génératrice d'amour face au néant. Quant à l'auto-stoppeur catholique s'imaginera qu'il y aura toujours un bon samaritain pour s'arrêter et pour lui rendre grâce. Parfois, je me crispais sans m'en apercevoir, puis revenant de manger, constatant qu'on me prenait immédiatement, je comprenais que je m'étais tendu sans même m'en apercevoir. Car parfois, la peur prend le dessus, les boyaux se nouent, et on a plus faim. La peur de rester sur le bord de la route nous empêche de nous nourrir. On repousse à plus tard la prise en compte de nos propres besoins. Loin d'améliorer la situation, cette faim nous donne un ton grave, ce que j'appelle une allure crispée. Et plus on a l'allure crispée moins on a de chance d'être pris. Il faut être heureux pour réussir son auto-stop en toutes circonstances. Il m'est arrivé de croiser des auto-stoppeurs en rade, et de voir la crispation sur leur visage, et de les plaindre car ils n'étaient pas prêts de trouver quelqu'un pour les véhiculer. D'autres, persuadés qu'il fallait surprendre l'automobiliste, se plaçaient à des endroits très dangereux et surgissaient brusquement. D'autres cherchaient à jouer de leur détresse pour susciter la pitié de l'automobiliste. Mais le conducattentionné n'est pas dupe dans ces cas là et il faut vraiment quelqu'un empli de pitié pour s'arrêter. Certes, on en trouve. Cependant leur action confine l'auto-stoppeur à une vision fausse de la vie. La très grande majorité qui ne s'arrête pas en ces cas là a raison. Comment s'arrêter en privilégiant une vision aussi puérile de la vie ? Tous les auto-stoppeurs qui agissent ainsi sont en fait persuadés que personne ne s'arrêtera pour eux. Ils sont persuadés qu'on ne peut pas faire confiance en l'humanité, et que les êtres humains libres qui seraient susceptibles de s'arrêter en toute bonne conscience, n'existent pas. Faisant ce pari, ils jouent sur des sentiments négatifs chez l'autre : la condescendance, la pitié, la peur et la surprise. Les rares fois où un conducatentionné s'arrêtera à cause de cette démarche, il le fera empli d'un sentiment de pitié pour ce jeune qui a si peu compris l'humanité, qu'il cherche à avancer grâce à elle mais sans lui faire confiance. Car en demandant d'être véhiculé, l'auto-stoppeur refuse objectivement, s'il est sincère, toute discrimination. S'il accepte d'être pris par n'importe qui, il doit tolérer l'humanité, qu'elle soit riche, pauvre, blanche, noire, masculine ou féminine, sinon il est plus hypocrite que ceux qu'il croit dénoncer. L'auto-stoppeur sollicite l'humanité et non une personne en particulier.
Quant au conducteur, il refuse de reporter sur l'autre la nécessité de faire le bien. Il doit se dire : "ce n'est pas quelqu'un d'autre qui prendra l'autostoppeur, c'est moi qui décide de le faire".En cela, l'autostop, pour le conducteur, comme pour l'autostoppeur, est un acte profondément religieux qui relie les hommes entre eux, malgré leurs différences. L'auto-stop est un pari sur la vie dont on peut percevoir les gains très rapidement, et où, seuls quelques faux-semblants peuvent écarter l'auto-stoppeur ou le conducteur d'une vérité plus grande. Et cette démarche va dans le sens d'une connaissance plus grande de leur coeur et du coeur de l'humanité. Ils sont sur le chemin, et s'ils se plantent, ils peuvent en tirer rapidement une leçon pour progresser et changer d'attitude.

En effet, la spiritualité du stop oblige au changement. Les gens, les lieux, les heures, notre allure et les situations sont très différentes. Quid de celui qui embauche le matin et qui n'a pas le temps, quid de celui qui débauche après une dure journée, engoncé de ses préoccupations, quid de la femme qui a peur de l'agression, quid de la nuit qui tombe, de la tête qu'on a ou pas à cause de la nuit qui a précédé, des moeurs locales... toutes ces situations définissent notre possibilité ou pas d'être pris à bord d'une voiture, et il faut alors interroger le message que nous envoyons à toutes ces personnes. Et en principal, je crois qu'il ne faut pas tricher. Si on est fatigué et qu'on essaye d'avoir bonne mine, le conducattentionné le percevra tout de suite, et il ne comprendra pas la différence entre ce qu'il perçoit et ce que nous essayons de faire paraître. Je crois que le naturel est une des principales clefs pour entrer en contact. Mais cela ne suffit pas. Pour entrer en médiation, pour susciter le don, il faut imaginer des moyens adaptés à chaque situation. Exemple : en Pologne je me suis aperçu que les gens ne levaient pas le pouce pour faire du stop mais tendaient les deux premiers doigts. Je me suis mis alors à la couleur locale... Votre panneau n'est pas assez lisible : il faut réduire le nombre de lettres tout en restant compréhensible... La direction que vous tentez d'atteindre ne concerne pas les voitures qui passent : il faut changer son panneau pour une direction plus proche... Vous n'êtes pas sur un bon emplacement : il faut se mettre en marche vers un autre emplacement... Si vous ne changez pas, vous resterez sur place au risque de sécher sur pattes, voilà une des leçons évidentes du stop. Comme le préconiserait un Rabbin : bouger pour apprendre et grandir. Je ne voulais pas aller voir les gens, mais la situation m'y a obligé quand j'ai eu atteint les limites propres à tout être humain, ou tout simplement, suivant mon propre instinct. Celui qui ne change pas est obligé d'arrêter le stop, car forcément, à un moment où à un autre, il se retrouvera bloqué sur le bord de la route sans comprendre ce qui lui arrive. Le lendemain, découragé, il devra trouver un autre moyen de locomotion.
Après la force, après la prise de conscience de la propre fragilité de notre corps, il peut s'en suivre des sentiments divers et vairés qui peuvent permettre une progression spirituelle à travers le stop : la colère, la jalousie, l'aigreur, le désespoir, l'aggression, la pitié.

La pitié.
Le conducteur ne s'arrête pas et regarde avec pitié celui qui est sur le bord de la route. L'auto-stoppeur à cause de ce regard n'est plus un être humain. Je les plains énormément ceux qui ne s'arrêtent pas et me plaignent, peut-être vaut-il mieux voir quelqu'un en colère ? A l'inverse quand l'auto-stoppeur n'est pas rempli d'un regard d'amour mais de pitié envers le conducteur qui ne s'arrête pas, il se juge supérieur et écrase toute humanité en l'autre. Pris dans un système de valeur piégeant, les êtres qui éprouvent un tel sentiment sont constament pris sous le double feu de l'évaluation et de la domination : ils doivent constament juger si l'autre leur est inférieur et à quel point, pour se sentir exister. Celui qu'on ne comprend pas devient un sous-être, inaccessible, incompréhensible. La pitié ampute l'humanité d'une part non négligeable de l'humanité. Il faut la chasser de son esprit et assumer ses sentiments de colère si l'on veut vivre. La pitié est une échappatoire qui empêche celui qui l'éprouve de vivre sa vie et de s'affronter à une réalité dont il a peur. Elle ne permet pas de dépasser l'épreuve, mais de contourner l'obstacle. Elle n'est plus l'aventure de la découverte de l'autre, mais le canapé doux de la maison des certitudes.

L'aggression.
Celle-là, par le biais de l'insulte, de geste déplacés provoque chez l'auto-stoppeur une auto-justification à l'agression. Si je suis objectivement agressé, je me donne le droit d'agresser à mon tour. Et c'est à celui qui insultera le plus l'autre, celui qui ira le plus loin dans la surenchère, celui qui fera valoir le plus ses mâles attributs pour en imposer à l'autre et le dominer. Mais diantre, nous n'allons pas en venir aux mains pour si peu ! Ces provocations inutiles ne sont qu'une perte d'énergie pour l'auto-stoppeur qui l'amènent à une forme de découragement. Par contre, si l'auto-stoppeur essuie l'insulte par l'indifférence, voire la prière de pardon ou d'amour, il grandira en force et prendra le dessus sur celui qui croyait le dominer. Il ne s'agit pas bien entendu de prier pour devenir plus fort, encore que... mais de dépasser une situation absurde, une sorte d'impasse ridicule qui peut être un obstacle à la réalisation du voyage. En effet l'aggression amène à la colère et au découragement, et ne permet pas de prendre patience pour dépasser les attentes du chemin.


Voici une petite voix que vous connaissez bien et qui se démultiplie en situation de stop, celle de la colère. La colère amène la colère.avec sa méchante petite voix qui vous dit : « mais qui sont tous ces gens qui passent sans s'arrêter, je sais bien qu'ils pourraient me prendre mais ils ne le font pas. Vous vous dîtes qu'ils sont certainement indifférents et cette indifférence réelle ou fausse peut amener l'auto-stoppeur à un sentiment de colère. Ce sont des salauds, ils sont égoïstes, ils ne prennent pas en compte la souffrance de leur prochain. Dans la vie de tous les jours, cette petite voix nous dit que les autres ne font pas assez attention à nous, ou aux autres. Nous voudrions bien commander aux autres de faire ou de dire ce qui nous arrange, pour le bien de l'humanité bien entendu ! Mais les autres ne le veulent pas, ces salauds! Eux, restent dans leurs propres préoccupations, dans leurs propres peurs, indifférents ou pire, haineux. Dans ces moments, on se dit que notre souffrance est légitime et qu'elle devrait être prise en compte, voire être prise en charge par les autres. En effet, la colère se pare de toutes les bonnes intentions et des jugements de valeur : on ne se met jamais en colère pour de mauvaises raisons, mais pour rétablir une situation juste, bien entendu. Or tous ces raisonnements sont faux spirituellement. Que savons-nous de celui qui s'arrête ou pas ? Rien... peut-être a-t-il toutes les bonnes raisons de ne pas s'arrêter ? Et quand bien même il n'aurait pas toutes ces raisons, n'a-t-il pas sa libre conscience pour décider de prendre quelqu'un ou pas ? Qui sommes-nous, dans ces moments pour juger des intentions de l'autre ? En fait, nous nous plaçons en juges omnipotents aveuglés par notre propre souffrance. Dans les moments de souffrance, il faut réellement s'abstenir de tout jugement moral. La souffrance est très mauvaise conseillère en particulier si elle n'est pas dépassée ou transcendée. Un Catholique doit s'exercer dans chaque petite situation de souffrance à éviter de juger son prochain, pour éviter qu'en situation de grande souffrance, il ne se retrouve départi de toute humanité. Il doit assumer sa souffrance, prendre sa croix, ou ce qu'il peut en assumer, et confier le reste à Dieu et aux autres, mais jamais refuser toute sa souffrance et en rendre responsable les autres dans sa totalité. S'il fait cela, il n'est plus un être humain à part entière, il perd son intégrité en supprimant aux autres la possibilité d'exercer leur liberté de conscience, il devient le tyran de son entourage, un petit tyran domestique, il régresse en n'assumant pas la charge qui lui est dévolue. Il n'est pas question, bien entendu, d'assumer des souffrances qui iraient au-delà de nos moyens, mais d'assumer juste la souffrance dont on est capable. Ici, le stop peut nous apprendre que de nombreuses souffrances spirituelles proviennent de notre incapacité à percevoir le monde avec compassion. La compassion est l'arme qui détruit la colère. La compassion est le préjugé positif qu'on peut porter sur ce prochain que nous croyons si proche et qui nous est pourtant si éloigné pour nous faire dépasser notre colère. La compassion nous permet de passer de : « Ce sont tous des connards » à « ils ont leurs raisons, et leurs raisons valent certainement les miennes, nous sommes égaux dans le jugement et dans la liberté ». Il faut s'exercer à la compassion pour passer de l'un à l'autre. Toutes les raisons objectives ne suffiront pas à combattre un sentiment. Pour combattre un sentiment, il ne faut pas un raisonnement logique, mais un autre sentiment, celui de la plénitude, de la confiance que l'on puise dans le Dieu éternel., et ici, celui de la compassion. La colère est un danger spirituel très grave car il se pare de la justice. Doucement, en nous soumettant à la colère, nous ne percevons plus rien de bon dans l'autre. « Les autres » deviennent tous des monstres, et nous, bien entendu, nous sommes de plus en plus parfaits. Et devenant de plus en plus parfaits, nous nous éloignons du commun de l'humanité. La colère nous rend autiste, en nous rendant parfait. Nous ne sommes pas parfaits, nous sommes des pécheurs, et nous devons prendre conscience de notre imperfection pour pouvoir vivre avec le monde, tel qu'il est, sans en omettre le mal, bien entendu, mais sans être aveuglé au point de voir le mal partout. Quand on voit le mal partout, on est certain d'être pris par la mal. Le vrai mal est beaucoup plus insidieux qu'un : « le monde entier est mauvais. » Alors, il est vrai, qu'à chaque fois quelqu'un s'est arrêté pour moi. Que se serait-il passé dans le cas contraire ? Je ne le sais pas. Mais je sais que je m'étais préparé à cette occurrence, de manière bien peu spirituelle, ou plutôt, avec une spiritualité de circonstance : en effet, je voyageais avec assez d'argent pour me sortir d'une ornière en prenant des transports en commun. J'avais donc prévu de prendre les transports en communs dans le cas où je me serais retrouvé sans nourriture. Maintenant, imaginons quelqu'un qui n'aurait pas eu cette possibilité, les peurs qui se seraient démultiplier en elle, l'enjeu qui serait devenu beaucoup plus crucial et décisif. Il me semble que l'argent, dans ce cas, symbolise la charge d'amour avec laquelle nous partons dans la vie. Avec une belle petite réserve d'amour, reçu en principal dans l'enfance, mais aussi par l'intermédiaire de Dieu bien plus tard, on peut se permettre de prendre d'autres moyens de transports que ceux qui nous sont offerts à un moment donné : on a l'assurance d'être pris en charge d'une façon ou d'une autre, ou plutôt de pouvoir se débrouiller d'une manière différente, de changer. Imaginons encore quelqu'un qui n'aurait pas reçu une once d'amour, qui serait sur le bord de la route, échoué jusqu'à la mort : croyez-vous que les gens le laisseraient mourir sur le bord de la route ? Je ne le crois pas. Au contraire, dans tous les pays que j'ai traversé (peut-être même en Tchéquie), je suis persuadé qu'il y aurait toujours eu quelqu'un pour l'aider. D'ailleurs je ne me suis jamais retrouvé dans une telle situation. Il y a toujours eu un être humain pour venir à mon aide, dans tous les pays, dans toutes les situations, et j'étais pourtant bien loin de mourir de faim. Quand j'étais au bord d'abandonner, j'ai pu percevoir les regards changer quand ils se posaient sur moi. Naturellement, les automobilistes comprenaient qu'il se jouait une dramatique qui engageait subitement leur conscience. C'était naturel. Je n'essayais pas de tricher, de montrer un autre visage. J'essayais seulement d'être en accord entre ce que je ressentais au plus profond de mon coeur et dans mon corps, parfois même survenait un abandon total et involontaire. A un moment donné, le corps,le coeur, l'âme et l'esprit sont dans un tel état, qu'il se passait quelque chose d'ordre mystique. Je le maintiens : dans ces instants, on ne change rien à son attitude, on ne désire pas changer son regard ou prendre une autre attitude, mais il émane de nous une aura en forme de S.O.S qui est captée de manière instinctive par la plupart des êtres humains. Ma conclusion est celle-ci : si vous n'avez pas assez d'argent pour voyager comme le commun, si vous n'avez pas assez d'argent pour vous sortir de mauvaises situations durant le stop, si vous n'avez pas assez d'amour pour vous sortir d'une impasse de vie, il y aura toujours l'amour d'un autre pour vous aider. Sauver l'autre est encore inscrit au plus profond de chacun d'entre nous, et tant qu'il y aura des croyants, en tout cas, ce sentiment sera cultivé et permettra à l'humanité de poursuivre sa survie dans la proximité.


La jalousie : ce n'est pas un sentiment qui m'est très familier. Pourtant quand on fait du stop, des fois, on peut se dire : « Ah si j'avais autant d'argent qu'untel ou untel, ou que ce gros bourgeois qui passe avec sa belle voiture, je ne serais pas sur le bord de la route comme cela... » ou encore « Ah lui, il pourrait s'arrêter, mais il est trop riche pour cela... » (alors que les pauvres ne s'arrêtent pas plus). Ces sentiments ne sont pas familiers pour moi, car j'ai bien conscience du fait que l'argent ne résout en rien les problèmes que nous pouvons avoir. En l'occurrence, je suis certainement beaucoup mieux ici à effectuer du stop, plutôt que d'être dans un club med à me dorer la pilule. Je rencontre des gens très intéressants grâce à ce moyen, je perfectionne ma spiritualité, je vis une expérience unique, et tout cela grâce à ma pauvreté! La jalousie est réellement très bête : c'est croire que l'autre est plus heureux que nous, et que ce bonheur tient souvent à l'argent qu'il possède. C'est encore désirer que le riche se serve de son argent pour réaliser nos propres fins, car lui, il en a les moyens. Là encore, nous ne savons rien de cet autre, de ses peines, de ses deuils, des évènements réellement importants de sa vie, mais nous nous permettons de juger que sa vie est plus facile que la nôtre, ou de comment il doit gérer ses surplus. Or je n'ai jamais eu le désir en moi d'échanger ma vie pour une autre, voilà pourquoi la jalousie ne m'est pas naturelle. J'ai toujours eu envie de vivre pleinement la mienne. Finalement le jaloux n'est pas dans sa vie, il est dans le fantasme, celui de croire que l'argent soulage des peines, ou que les autres ont moins d'épreuves que lui. Nos croix sont personnelles et elles forment notre individualité. En désirant l'échanger pour une autre (à part celle du Christ), nous fuyons et jamais nous n'obtenons le repos, car ce désir de changer de vie, loin de soulager l'âme, lui fait supporter un poids supplémentaire : celui de la frustration. En acceptant notre vie telle qu'elle est, certes nous nous voyons tout petit, mais nous supprimons une frustration de chaque instant : celle de vouloir être plus grand. Plus insidieux est le sentiment qui nous fait dire que le riche devrait utiliser son argent pour faire ceci ou cela. Comme pour la colère, ce genre de jalousie nous érige en petit tyran paré des meilleurs intentions du monde. Nous n'imaginons pas que le riche a le droit à une forme de liberté. Nous n'imaginons pas qu'il puisse se servir de son argent pour des choses tout aussi importantes que notre petite situation le demande, ou même qu'en agissant de manière injuste, il peut entrer dans les plans de Dieu et donner du fruit, là où il est. Quand bien même le riche serait injuste en ne s'arrêtant pas, ne m'apprendrait-il pas la liberté, la vraie liberté, celle qui se passe d'argent ? Mais pauvres et riches sont si aveuglés par l'argent qu'ils croient encore qu'il fait tourner le monde. Or ce n'est pas l'argent qui fait tourner le monde, mais l'amour. Quand on pense que l'argent fait tourner le monde, on est déjà dans le mal, dans la jalousie et la colère qui n'apportent que la destruction. Cela n'enlève aucune responsabilité morale au riche, mais cela la remet à sa bonne place : celle de l'amour, celle de l'obligation d'aimer, et d'être libre, et non de donner sans compter parce qu'il aurait peur de la tyrannie du pauvre.

Quand la colère et la jalousie gagnent survient l'aigreur comme je l'ai déjà abordé plus haut. Et l'aigreur nous coupe du monde. Mais si nous avons réussi à vaincre jalousie et colère, le désespoir devient notre nouvel ennemi. Le désespoir n'est pas vaincu par l'arrivée d'un conducattentionné, bien au contraire. L'arrivée d'un conducattentionné ne peut qu'entretenir le désespoir si nous ne l'avons vaincu précédemment, car dès lors, nous croyons que l'espérance vient de l'autre. Or il y a une possibilité réelle qu'aucun de ceux-là ne s'arrête. Il nous faudra pourtant garder l'espérance pour continuer. Si le désespoir gagne, il ne nous sert plus à rien de continuer. L'espérance n'est pas un sentiment qui peut s'appuyer sur du sable, l'espérance n'est pas du sable, elle est plutôt le roc sur lequel nous bâtissons nos projets : l'espérance doit préexister à l'accomplissement d'un projet. L'espérance ne peut provenir d'une expérience réussie qui est toujours partielle. Elle est un pari sur l'avenir. Or le désespoir nous assaille face aux difficultés inhérentes au stop. Le temps s'allonge, les conditions climatiques peuvent renforcer ce sentiment et bien d'autres épreuves encore que vous imaginez aisément. Dès lors, il n'y a qu'un remède : la foi. Et la foi ne vient que d'un dialogue sérieux avec Dieu, puis de la confiance que nous pouvons lui porter. Quand nous apprenons à dialoguer avec Dieu, nous apprenons à lire la vie. Cette lecture nous amène à comprendre les évènements qui nous arrivent de manière différente : si nous attendons sur le bord de la route, depuis longtemps, il y a une raison qui nous échappe. Et cette raison peut être positive bien que nous n'en percevions que les aspects négatifs. Chaque personne qui s'est arrêtée détenait en elle un message qui m'était adressé. Une autre personne, ne m'aurait pas apporté ce message. Il fallait que ce soit celle-là et pas une autre. Maintenant, si nous ne savons pas lire ces messages, nous nous abandonnons au désespoir, car les gens que nous rencontrons ne sont pas des signes pour nous. Tout au plus, nous percevons leur attitude amicale, bien que l'essentiel nous échappe. Le désespoir c'est croire que l'attente durant le stop n'a aucun sens. Et pourtant, au moment même où j'attends, je me forge une nouvelle personnalité de patience, je deviens meilleur, plus attentif à ceux qui sont capables de s'arrêter, je m'élève spirituellement en combattant la colère ou la jalousie. Chaque instant est un signe que nous devons apprendre à décrypter. Chaque personne rencontrée n'était pas là par hasard. C'était celle-là et pas une autre. Souvent, nous passons à côté de ces personnes sans comprendre le message personnel qu'elles sont en train de nous délivrer. Pris par des riches, j'ai compris que nous étions tous des êtres humains. Pris par des pauvres j'ai compris que nous étions tous des êtres humains. Pris par des femmes, j'ai compris que nous étions tous des êtres humains. Car la question essentielle est : qu'est-ce que nous voyons en l'autre de différent et en quoi cette différence n'est pas un obstacle à la compréhension ou à l'amour, et en quoi celui-ci où celui-là peut nous apprendre à prendre l'humanité telle qu'elle est et non telle que nous l'imaginions. Ces inconnus, nous parlent de notre propre vie, de nos propres ressentiments, des évidences que nous sommes incapables de dépasser. Elles nous parlent d'un chemin de progrès, forcément personnel, d'une rencontre unique, très courte et intense, d'un concentré de vie après une longue attente. Soulagés de l'attente, parfois, nous n'avons plus les moyens de nous tourner vers l'autre, trop fatigués, ou trop heureux. Quel dommage! A d'autres moments, cet autre nous apprend la prière et le silence... pourquoi pas ? Si nous réussissons à vaincre le désespoir, nous abordons celui qui s'arrête avec tout le bon esprit qui convient .Celui-ci peut être emprunt de qualités morales. Il peut être animé de sentiments positifs : curiosité, amour du prochain, volonté de découvrir une autre personalité. Et nous pouvons entrer dès lors dans une forme de connaissance et de partage. Mais il faut aussi que ce conducteur qui s'arrête chasse tout un tas de sentiments négatifs qui l'assaillent. Il doit oublier qu'il pourrait avoir à faire à un voleur à un tueur, à un étranger etc... il faut qu'il chasse lui-même toute jalousie en lui. Combien de fois n'entendez-vous pas dans la société de la part d'un intégré cette réflexion sur les pauvres : "il faudrait qu'ils fassent ceci ou cela", au final ce sont souvent des fainéants pour ces personnes là. Ceux-là sont riches, mais ils jalousent les pauvres, à moitié mécontents de leur vie, sentant qu'il y a quelque chose qui cloche dans leur façon de voir le monde, à moitié interloques devant le fait que le monde ne soit pas à leur image, signe de grande immaturité. Ce genre de conducteur jaloux ne s'arrêtera pas en pensant "à ce fainéant" qui utilise le stop au lieu de travailler pour se payer une voiture et de l'essence. Ainsi il se privera de découvrir l'amour dans sa vie, comme il se privera de rencontre à chaque fois qu'il jugera les autres de cette manière, premier puni de son sentiment de toute puissance, ignorant combien l'autre souffre et combien ils se ressemblent. L'agression de la part d'un conducteur amène à l'agression de la part de l'auto-stoppeur. Le mépris l'amène à l'indifférence ou au mépris. L'indifférence peut le conduire à la colère, au mépris et à l'indifférence. Au final, l'autostop agit comme un miroir à plusieurs reflets et celui qui ne s'arrête pas doit faire face aux même sentiments que celui qui attend mais de manière différente. Mais comme l'autostoppeur peut pratiquer l'autostop d'une manière irrespectueuse ou échouer dans sa spiritualité, le conducteur peut s'arrêter pour de mauvaises raisons (pour gratification personnelle, pitié, désir de reconnaissance ). Par exemple, la pitié provoque une forme de victimisation chez l'autostopeur qui la voit, que le conducteur s'arrête ou pas. Cependant comme dit le proverbe, il arrive que même en ces cas, le diable porte pierre comme dit l'expression populaire : ainsi celui qui s'arrête pour de mauvaise raisons, rend quand même service à un autre être humain et lui permet d'aller plus loin. De même celui qui pratique l'autostop comme un dû, peut enrichir malgré lui le conducattentionné et lui faire travailler sa spiritualité. De plus à chaque fois qu'il est pris, il est donné une nouvelle chance à cet autostoppeur de comprendre et d'avancer dans sa conception de la vie. En tant que catholique, si personne ne s'arrête, nous pouvons garder une joie intérieure inattaquable, basée sur un dialogue avec Dieu et la foi qui s'en suit. Si le fait d'être pris ou pas n'a aucune importance dans l'absolu, le fait que quelqu'un nous prenne ou pas, n'a aucune importance. Si nous accueillons le fait d'être pris comme une grâce venant de Dieu, le conducteur n'accomplit que l'oeuvre de Dieu, une oeuvre d'amour. En quelque sorte nous n'attendons rien du conducteur d'en face, et lui n'attend rien de nous. Mais dans cette non attente, se crééer l'amour de Dieu et la grâce de l'entraide.
Au milieu de sentiments confus, avant, après, ou en même temps, il y a un ressenti très sournois, de temps en temps qui est à l'origine de tous les autres, ou bien, attaquant seul, et qui est de loin le plus dangereux : la peur. La peur engendre la colère, la jalousie, le désespoir, et parfois peut, tout simplement détruire toute lucidité chez un être humain. Combien de personnes ne tenteront pas de nouvelles expériences dans leur vie, tout simplement pas peur. La peur vient de l'ignorance et du culte de l'ignorance. Quant on ne veut pas apprendre, on reste ignorant, et quand on reste ignorant, on n'imagine pas le monde en ce qu'il a de vrai, mais on le fantasme. Pour vaincre la peur durant le stop, il faut se marteler l'esprit de cette phrase : « le monde n'est pas tel que tu l'imagines. » Regarde, tu étais en train de désespérer juste avant que cette voiture n'arrive, tu croyais le monde entièrement mauvais, juste avant d'être pris, tu croyais qu'aucun riche ne te prendrait et tu te retrouves dans cette grosse voiture, tu croyais qu'aucun pauvre ne le ferait, et puis, il y a celui-ci qui te prend et même s'il te demande de l'argent après ou avant, il te dit quelque chose de différent de ce que tu imaginais, il t'imagine riche par exemple, ou encore ce pauvre qui te prend entièrement gratuitement et avec le sourire, quel niveau de spiritualité a-t-il atteint pour accepter de dépenser plus pour toi dans sa pauvreté.
La peur peut provenir également du désespoir ou l'entretenir, mais que peut la peur contre un coeur inflexible et sûr de lui ? Là encore, on n'acquière pas un coeur sûr à force de réussites, mais en luttant contre le sentiment d'échec. La peur vient de l'idée même de la réussite. Il n'y a pas de réussite ou d'échec sur la route. Il y a seulement la vie qui s'écoule, notre vie, qu'on choisit de vivre et d'accepter telle quelle est, ou bien de fuir (jalousie) ou encore d'affronter (colère) ce qui nous mène forcément à la peur. La réussite c'est le chemin au moment même où nous marchons, et non le constat d'être « arrivé ». En fait non, c'est le sentiment perpétuel d'être définitivement arrivé où que nous en soyons dans notre vie. C'est le sens du poème de Kipling : être un homme c'est accepter les réussites et les échecs et accueillir ces deux menteurs d'un même front. Durant le stop, il ne faut pas se réjouir d'être arrivé quelque part. Si nous sommes dans cet état d'esprit, alors nous avons peut-être oublié le principal durant le chemin. En stop, le voyage se fait également en chemin. Le stop ne permet pas d'atterrir dans un pays éloigné de plusieurs milliers de kilomètres et ce, en quelques heures. Non. Quand on fait du stop, on passe une partie de sa vie sur le chemin, et vouloir ignorer ce chemin c'est oublier de vivre tout simplement tant la part de stop est importante dans celle d'un voyage en auto-stop. Avec le stop, j'ai passé légèrement plus de nuit en chemin que dans les hôtels. Cela fait une grande différence avec les voyages de nos jours. Les voyages actuels ne sont plus aussi instructifs que par le passé car ils nous font croire que nous pouvons aisément arriver à des buts multiples par un chemin unique, tandis que, si je voulais employer une boutade, la vie est un voyage aux chemins multiples qui nous conduit tous de manière unique... au cimetière.
Les voyages d'aujourd'hui nous font oublier l'essentiel : le chemin. Oubliant le chemin, nous en venons à avoir peur de ne pas arriver. Pourtant quoi qu'il en soit, riches ou pauvres, nous arriverons bien tous au même endroit. La peur vient donc d'un déni de la mort. Si les gens avaient pleinement conscience de leur propre finitude, ils s'occuperaient plus intensément de bien vivre leur chemin, plutôt qu'ambitionner d'arriver à posséder à la fin de leur vie, de l'argent, ou une maison ou encore une belle voiture, dont, en plus, ils seront bien incapables de profiter tant ils auront acquis une mauvaise conception de la vie. Durant le stop, il faut donc lutter contre la peur, et pour ce faire, il faut prendre pleinement conscience de l'amour de Dieu. Entièrement certains de l'amour de Dieu, que peut-il nous arriver de grave en chemin ? Rien, si ce n'est de nous écarter de cet amour divin. Il faut donc prier pour éloigner la peur. Durant mon début de voyage, assommé par cette peur, j'ai décidé de bénir les voitures qui passaient et qui refusaient de me prendre. J'étais ainsi un signe de Dieu bien que tous ces conducteurs n'en aient pas conscience. Devenant un signe de Dieu, je prenais pleinement conscience de mon impossibilité à saisir tout l'amour de Dieu qui pouvait s'étendre sur moi, comme tous ces conducteurs étaient pleinement inconscients de la chance qu'ils avaient de recevoir ma bénédiction ;.) Bénir les gens et les voitures me faisaient du bien. Ainsi, j'avais l'impression que je ne servais pas à rien, que j'avais un rôle à jouer, car parfois désespéré en début de voyage, je n'en avais pas toujours eu conscience. La bénédiction chassait mon désespoir. Elle établissait des liens invisibles entre moi et ces automobilistes indifférents et me permettait de continuer le chemin malgré les épreuves. Prier pour les voitures qui ne s'arrête pas, c'est déjà créer une forme d'interdépendance et lutter contre l'individualisme dans nos sociétés. C'est avoir un geste d'amour envers des personnes qui n'en ont peut-être pas les moyens, c'est déjà un pas vers la conversion du monde.
Enfin, quand la peur, le désespoir, la jalousie et la colère avaient été vaincus grâce à Dieu et à Jésus, venait alors un sentiment de plénitude fort, la certitude que si tout pouvait arriver, je resterai quand même un être humain à part entière et aimé de Dieu. Chaque expérience d'auto-stop amène à de nouvelles découvertes sur les autres et sur soi. Des fois Dieu nous sauvera du désespoir, d'autres fois, il nous faudra aimer pour nous en sortir, ou être indifférent, mais toujours respecter son sentiment et son chemin intérieur. Par ce moyen, Dieu permet à l'autostopeur de grandir et d'affronter des épreuves qui lui conviennent exactement au moment où il le faut, là où il le faut. La relation à la vie est identique. Quand nous ne savons pas percevoir les signes de Dieu, nous restons sur le bord de la route. De tout son amour, Dieu attend que nous faisions un geste vers lui, il nous attend inlassablement. Et tant que nous n'avons pas décidé de dialoguer avec lui, nous n'avançons pas beaucoup, sauf par les autres qui sont des signes indirects de Dieu. Dès lors, nous nous affrontons toujours aux mêmes épreuves, sans les comprendre, en cherchant en nous seuls des ressources qui viennent du dialogue. Quand ce dialogue se fait avec les autres, c'est déjà beaucoup. Ce dialogue indirecte avec Dieu permet de se tourner vers la lumière à travers les autres. Mais il faut l'intuition que l'autre n'est qu'un reflet de Dieu, et qu'il est souvent préférable de s'adresser directement à la source.

 

Voilà le chemin de la spiritualité du stop.
Epilogue ou les réjouissances : à chaque fois qu'un automobiliste s'est arrêté, j'ai essayé de lui témoigner de ma plus grande gratitude. Qu'y-a-t-il de plus merveilleux que de constater que Dieu nous a envoyé quelqu'un sur le chemin, qui accepte de nous aider ? Que de tels êtres humains existent encore malgré le désespoir ambiant ? Celui qui prend un autostoppeur et qui est pris, entre dans la communauté des êtres humains, cela implique d'avoir un comportement respectueux de chacun
Merci à tous ceux qui m'ont pris dans leur voiture, je les garde dans mon coeur, dans mes prières et dans mes récits.

autostop

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