Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Au fil de mes abandons et de mes (nobles) révoltes
23 avril 2017

Ecosystème

Loin de moi l’idée de donner des leçons aux agriculteurs qui connaissent leur métier bien mieux que moi. J’ai encore gelé cette année, et si je devais vivre du produit de ma terre, je serais bien en peine. Cependant, il m’arrive de faire de belles découvertes en cultivant autrement, sans vouloir faire du rendement à tout prix.

 

Il y a 5 ans, je crois, deux pouces d’arbre ont percé du couvert végétal. D’habitude, ce sont des fruitiers dont je sème les pépins en septembre. Mais là, je ne reconnaissais pas les feuilles. Des oiseaux avaient ramené ces graines d’ailleurs et elles avaient trouvé leur place ici, sur cette terre qui leur convenait.

 

Espérant faire de nouvelles récoltes à moindre frais, je pris la décision de les laisser grandir. 3 ans après, je réussis à en déterminer l’espèce grâce à leurs petits fruits noirs. Malheureusement, c’était des arbustes d’ornement, des troènes plus précisément. S’ils s’étaient épanouis ici, ils ne me rapporteraient jamais rien. Je me posai donc la question de les arracher. Mais, est-ce parce que je m’en étais occupé, ou bien parce qu’ils avaient si bien poussé ici, je fus d’avis de les conserver. Bien m’en pris.

 

L’année suivante, ils étaient couverts de pucerons qui dévoraient leurs feuilles avec la complicité des fourmis. J’étais de plus en plus circonspect. Non seulement ces arbres ne me rapporteraient jamais rien, mais en plus il me faudrait les traiter pour espérer les voir prospérer tout en évitant que les autres ne soient contaminés. C’était fort de café. Cependant, un peu comme dans ce passage d’Evangile où l’agriculteur propose à Dieu de s’occuper particulièrement du figuier stérile encore une année avant de l’arracher, je me décidais à leur laisser une nouvelle chance.

 

Hier, je suis allé voir mes arbres. L’un des deux troènes était de nouveau couvert de pucerons, mais l’autre semblait plus prospère. J’approchai ce dernier pour constater qu’une armada de coccinelles se nourrissait allègrement des envahisseurs, coccinelles de Chine et européennes copulant joyeusement ensemble pour le bien du verger. Le premier troène avait servi de garde-manger à une armée de bêtes à bon Dieu. De plus, des insectes divers et variés, des mouches virevoltaient autour de l’arbre, multipliant la faune à ce niveau très local. Je remarquai également que les autres arbres étaient moins attaqués même si je ne les eus pas sulfatés. Cette année, je me décidai donc pour la première fois à renoncer aux traitements chimiques sur les fruitiers en cette saison.

 

Dans la légende du loup de Saint François d’Assise, celui-ci sauve les enfants de Gubbio en demandant aux adultes de nourrir la bête tous les jours. Mes troènes ne servaient apparemment à rien, mais en les laissant pousser j’ai donné à manger au loup, qui est en passe de ne plus me causer d’ennuis. Sainte Thérèse de Lisieux affirmait que le monde des humains est constitué d’une multitude de fleurs, les unes petites et rares, les autres grandes et majestueuses, les autres pleines d’épines, mais que dans la création de Dieu, cela n’a aucune importance. Dans Son jardin, la moindre herbe a sa place et Lui est chère.

 

Cultiver, c’est ordonner la nature, contenir certaines espèces, en sélectionner d’autres pour s’en nourrir. Cette règle n’exclue pas de donner à manger au loup, de temps en temps. Dans le cas contraire, en nous privant de diversité, nous en venons à devenir des pompiers pyromanes, qui luttent contre les maladies qu’ils entretiennent. Sans troènes, les pucerons auraient été sur mes fruitiers, je me serais senti obligé de traiter comme les autres années, j’aurais détruit les coccinelles, et mes arbres seraient restés plus ou moins malades. Désormais, il m’importe peu de voir ces arbustes de haies vivoter. Je les vois même avec plaisir être dévorés par les pucerons, et les coccinelles se multiplier sous leur action et protéger ainsi le reste du verger.

 

La notion d’écosystème est un drôle d’équilibre qui déteste la pureté. Les bactéries, les pucerons, les champignons se développeront quoi que l’homme fasse. Et l’éradication de tout le vivant pour ne conserver qu’une espèce sur terre, pour éviter à cette culture d’être ravagée, provoquera toujours plus de désordres que ce dont ce volontarisme ne devait nous prémunir. Car dans ce cas, la moindre maladie deviendra catastrophique et obligera à des mesures extrêmes, tuant le vivant. Le produit de cette récolte deviendra pauvre en qualité et si la quantité regorge, nourrissant toujours plus de personnes, elle les rendra toujours plus malades. Engagés dans cette voie, les hommes mus par le puritanisme appelleront de leur vœux un puritanisme toujours plus destructeur, ce dont nous avons du mal à sortir aujourd'hui. Nous vivons encore des suites de l’hygiénisme du 19ème siècle.       

 

coccinelle

Publicité
Commentaires
Publicité