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Au fil de mes abandons et de mes (nobles) révoltes
4 juin 2017

Objets inanimés des bords de route (#1)

« Objets inanimés avez vous donc une âme » nous assène le poète. Dans tous les cas, ceux que je regarde à terre, au bord de mon chemin, en faisant du stop, sur des routes très passagères, semblent vouloir me parler. Tout comme moi, ils voient défiler des voitures indifférentes à leur sort et ils sont bien contents d'avoir l'occasion de partager leurs malheurs avec quelqu'un.

Un véhicule s’en est délesté à son insu, allant plus loin mais risquant l’accident pour avoir perdu qui d’un boulon, qui d’une rondelle, qui d’une attache. Inconscient, il a laissé derrière lui un peu de sa sécurité pour rattraper le temps, malgré une voie de circulation défoncée. Car ces objets impromptus se retrouvent surtout à des endroits où la route est devenue cahoteuse. Là, ils prolifèrent, pointant du doigt les défauts de notre système de rationalisation pointu, défiant notre volontarisme, laissant trace du sort qui s’acharne sur des humains bien inconscients, épris d’une perfection qu’ils n’atteindront jamais.

objets inanimes

 

J’aime les ramasser même si je ne les réutiliserai jamais pour bricoler. Les conducteurs me prennent en stop, et moi, je remets ces objets en circulation. Je leur redonne une fonction existentielle. J’ai pitié d’eux comme certains conducteurs ont pitié de moi. Ils me parlent d’abandon, d’échec, de fêlures, d’humilité, de petitesse.

Car sans eux, combien nos véhicules sont en danger. C’est un peu comme avec les humains de notre société. Desserrez un boulon, laissez-le à l’arrière, vous pourrez peut-être rouler bien des kilomètres, mais vous prendrez un risque énorme jusque là. Si carrément vous le perdez, il ne pourra plus remplir sa fonction. Toute la société risquera dès lors l’accident. Elle se délitera, et pourra se retrouver dans le mur sans l’avoir voulu.

Non seulement les hommes qui en laissent d’autres sur le bord de la route sont coupables de non assistance à personne en danger, mais en plus ils le sont de non assistance à société en danger. Persuadés de devoir agir selon leurs convictions égoïstes pour s’en sortir, au contraire, ils sont en état de mort cérébrale et ne pourront bientôt plus être ranimés, entraînant la société avec eux. Il est caractéristique que les cultures mortes/animales pensent devoir agir de manière égoïste.

Car plus encore que ces objets laissés au bord de la route, les boulons humains sont inestimables. Dans une des entreprises pour laquelle j'ai travaillé, les employés se sentaient si bien considérés qu'ils aimaient à répéter que les cimetières étaient remplis d'un personnel irremplaçable. J'ai toujours pensé que si les humains étaient interchangeables dans leur fonction, effectivement, par contre ils restaient irremplaçables.

Dernièrement, le Pape nous a invités à ne pas traiter les êtres humains comme des objets de notre société de consommation. A mon avis, avant d'en arriver là, il faudrait renverser la proposition. Si nos instincts nous poussent à considérer les autres comme des choses, nous traitons aussi les humains comme nous traitons nos objets de consommation. Le gaspillage dont nous faisons preuve à leur égard est inadmissible, et si une personne, toute la journée, toute sa vie, se comporte comme tel et donc s'habitue à ça, elle ne pourra jamais traiter son entourage différemment. Les humains sont interchangeables dans notre société parce que les objets le sont et inversement. 

Une forme d'ascétisme moderne pourrait consister à  traiter avec respect les choses et les animaux de notre quotidien, pour réapprendre à devenir humains. La Création est notre médiation vers l'infini quand bien même il faudrait savoir aller plus loin.  

Objets inanimés, vous avez l’âme que nous voulons bien nous donner.      

 

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