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Au fil de mes abandons et de mes (nobles) révoltes
2 août 2019

(Trou noir #2) Claire se pend

Je l’appelle Claire parce qu’elle avait le visage fragile et lucide à la fois, deux traits de caractère qui s’accommodent mal. Dans l’enseignement, au milieu des fonctionnaires retors, elle n’était pas à sa place. Elle jouait un rôle de composition et ça se voyait, comme ça se voit chez tous ceux qui n’appartiennent pas à cette tribu. Malheureusement, ce métier attire nombre d’individus remplis de bonnes intentions et qui n’ont pas leur place dans une structure aussi froide. Elle en était.

 

Claire avait le visage impassible en apparence seulement. Derrière, ça moulinait dur. Parfois, elle entamait une vague conversation mais se ravisait bien vite. Avant de se pendre, elle avait déjà du mal à croire en quoi que ce soit.

 

Ses lunettes, loin de cacher son regard l’éclaircissait encore comme d’un effet loupe, et ceci malgré un léger strabisme divergent. Il fallait qu’elle vît le monde, mais le monde la voyait d’autant mieux, elle et sa fragilité.

 

A l’image d’une catho un peu coincée, ou d’une protestante de l’ancien monde si vous voulez, qui aurait dû composer avec son époque, elle portait toujours des robes, mais des tailleurs sombres qui enserraient ses hanches étroites et ses longues cuisses. Souvent habillée de noir, son style n’appartenait à aucune mode, et se rapprochait tout au plus de celui d’une employée des année 50 à Paris, sans la rigueur.

 

Car grande et maigre, elle flottait un peu dans ses vêtements. Légèrement anorexique, son corps n’était pas celui d’une femme, ni en taille car trop grand, ni en formes car trop peu sexualisé. Et puis ses longs colliers breloquants ajoutaient une touche exotique et incongrue à son teint lunaire.

 

Quand j’écoute « soleil d’hiver » de Niagara, je pense un peu à elle :

 

 

 

S’est-elle suicidée parce que son copain l’avait quittée, était-ce parce qu’elle était incapable d’assumer une séparation, était-ce parce que le dit copain n’avait pas été honnête avec elle, était-ce parce qu’il sentait cette fragilité en elle et qu’il voulait s’en défaire, était-ce à cause d’un passé familial houleux, était-ce parce qu’elle était inadaptée au monde ?

 

Claire s’est pendue, voilà qui est certain, mais pourquoi ? Pourquoi ? Voilà la grande question qui entoure toujours le suicide. Un pourquoi sans fin et qui appartient à la personne elle-même et qu’elle emporte peu ou prou dans la tombe. Le pourquoi est certainement la raison de son suicide et s’y pencher relève d’une gageure. Elle a été emportée par son pourquoi. Nous serions bien présomptueux de la suivre sur ce chemin là. Répondons à nos propres questions, ce sera déjà beaucoup.

 

Car le mal est insondable. Toutes les réponses raisonnables expliquant un suicide sont probablement vraies, toutes à la fois, avec des proportions variables. La culpabilité s’étend alors sur l’univers lorsque nous refusons de faire preuve d’humilité face à une charge d’évidences qui nous écrase. En prise avec la création, nous sommes bien petits. Mais nous sommes grands dans le coeur de Dieu. Et ce sentiment d’amour seul peut dépasser le goût de mort qui nous envahi face à l’échec de notre raison.

 

 

Nous sommes faits pour la vie et lorsqu’une personne décide d’en finir, elle appose la signature d’un échec personnel et social terrible sur le parchemin de l’histoire humaine. Le mal a gagné une bonne fois pour toute sur elle. Mais il a gagné temporairement sur nous. Cette personne qui met fin à ses jours a perdu le sens de l’existence, nous continuons de maintenir la flamme allumée, dans l’obscurité. Claire s’est éteinte en ce monde. Dieu reste.

 

Quand nous aurons vaincu la mort, nous en ignorerons pas moins le sens de la vie. Au contraire. Tout ce temps que nous aurons perdu à chercher la réponse à de vaines questions, nous ne le rattraperons pas. Et les problèmes existentiels se poseront à nous avec plus d’acuité. Déjà, le suicide est devenu une revendication sociale, tandis que les moyens de soigner les gens n’ont jamais été aussi importants.

 

Il ne nous sert donc à rien que les médecins préviennent le suicide de mieux en mieux car déjà, la société leur demande, non pas de soigner des gens, mais de mettre fin à leurs jours. Et que feront-ils dans ce cas là si leur hiérarchie le leur impose ? Nous avons déjà la réponse dans les pays autour de chez nous : prisonniers d'un système devenu fou, ils tueront sur commande et toute la société criera au "progrès".

 

Nous sommes trop sur terre paraît-il, mais qui est ce trop si ce n'est vous, moi, Claire ? nouvel forme de sacrifice rituel quand la société se croit trompée. Cette croyance en la raison seule ne nous a pas rendu tout puissants, mais dépressifs et sanguinaires. Alors, nous sommes tentés de rejeter le bébé de la science avec l'eau du bain scientiste puisqu'elle ne nous a pas apporté les réponses escomptées.

 

Au lieu de changer de croyance comme des enfants, il serait plutôt préférable que nous apprenions à nous remettre en question, collectivement et individuellement, par la grâce de Dieu et son amour infini. Claire, elle, a choisi de faire comme Judas Iscariote. Trompée, elle ne s'est pas dit que Dieu l'aimait quand même. Et elle a insisté.

 

Paradoxalement, éviter le suicide, c'est apprendre à baisser les bras, et donc à châtier son orgueil. Derrière des apparences affables, Claire cachait un orgueil fou tout en se détestant, ce qui est loin d'être contradictoire. Il faut s'aimer pour accepter de décroître à ses propres yeux. Peu de personnes s'aiment en notre monde, mais beaucoup ont une haute opinion d'elles-mêmes jusqu'à l'enfermement ou jusqu'au suicide. Là encore, comme des enfants mal sevrés, elles vivent à crédit. Et puis un jour, le réel refait surface. 

 

clairemin

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