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Au fil de mes abandons et de mes (nobles) révoltes
6 août 2019

Extase esthétique

Hier, j’ai eu une sorte d’expérience mystique. Nager dans l’eau de la Charente, seul à explorer la faune et la flore, avec mon masque et mon tuba, m’a mis dans un état second. J’ai alors pris mon appareil photo pour observer au mieux la nature environnante :

 

vibrac plan generalmin

 

Nous sommes en pleines vacances scolaires d’été. Alors que la chaleur bat son plein, il n’y a personne parce que le maire a planté un simple panneau d’interdiction à la baignade, pour se prémunir de toute poursuite judiciaire en cas de noyade.

Quand j'étais enfant, pas de panneau. Cette plage était noire de monde durant toutes les vacances scolaires. Comme tous les drôles, qu'importe le monde, ou l'environnement, je n'avais qu'une idée en tête : me baigner. Aujourd'hui, les vacanciers ne veulent pas se retrouver entre gens de mauvaise compagnie qui outrepassent les lois, aussi absurdes soient-elles. Ils préfèrent être certains d'attraper une mycose dans une piscine bétonnée, au milieu de la foule anonyme, juste pour avoir l'impression de faire société.

Je les en remercie. 

Je peux me baigner tranquillement et grâce à eux et à l’amélioration des pratiques agricoles, les libellules sont revenues. Elles logent sur de petits îlots d’algues qui parfois se détachent et les emmènent au loin :

vibrac libelules plan general2min

 

Mais observons-les de plus près :

 

vibrac libellulesmin

 

Le mâle monte sur la femelle et ils restent ainsi des heures durant (je sens qu'il va y avoir des jaloux). Voilà plusieurs semaines qu'elles semblent ne pas avoir bougé :

 

vibrac male femellemin

 

Une espèce bleue foncée est venue se poser sur mon bras tandis que je photographiais ses congénères :

 

vibrac lib bleue en vol

 

La voilà au repos :

 

vibracgros plan lib bleuemin

 

 

Celle-ci a pris la pose en face de moi :

 

vibrac libellule vertemin

 

 

Je suis reparti contraint et forcé, parce que j'avais un rendez-vous. J'ai repensé à un de mes voisins agriculteurs qui disait "Des vacances moi, pour aller où ?". A son image, après une telle journée, il ne me semble plus très utile de partir où que ce soit pour me changer les idées. Imaginez, je fréquente cette plage depuis des décennies et j'ai trouvé le moyen de la redécouvrir de fond en comble. Elle m'est apparue presque vierge d'observations grâce à un simple appareil photo numérique et un masque de plongée. Et s'il pouvait en être ainsi de tous les lieux que je fréquente déjà ?

Bon, notre agriculteur charentais, il n'avait que son ouvrage en tête. Mais il est probablement plus heureux à la tâche que tous ces employés modernes qui détestent leur métier ou les conditions dans lesquelles ils l'exercent, sacrifiant leur existence pour pouvoir prendre 5 semaines de vacances par an. Quand le travail ne les obnubile pas durant leur repos...

Je n'appartiens ni à la catégorie des uns, ni à celle des autres. Je suis un aventurier. Ce voyage autour de chez moi, dans mon environnement proche, est en rapport avec la profondeur abyssale que je sens sourdre de la création. Hier mon extase n'était d'ailleurs pas dénuée d'une énorme angoisse. J'ai approché le sacré. Une seule répétition dans un emploi du temps monotone m'a suffi à en percevoir le reflet. Je risquais de rester prisonnier entre le jour et la nuit tel le héros de ce conte indien. Et puis non, j'en étais d'autant plus à ma place. 

Jeune homme, je dois vous dire que j'ai pas mal voyagé pour un Français. J'ai pu ainsi toucher du doigt ce que d'aucuns appellent l'"humanité". Il faut suivre les quatre vents pour s'apercevoir que le monde est monde et aussi appréhender les différences identitaires, voire géographiques, quand celles-ci ne se confondent pas. 

Cependant, j'en ai conclu que mon passage de pays en pays, n'avait favorisé en rien la création culturelle. A cette époque, je n'étais qu'un vampire profitant de pratiques étrangères exotiques, sans jamais enrichir les leur, et d'ailleurs ils ne me demandaient rien.

Je m'entends, voyager a augmenté mon bagage personnel. Cependant, par mes déplacements, j'ai aussi participé à l'édification d'une sous culture mondialiste type world music, qui nivelle tout et apparaît bien pauvre au regard de la richesse humaine à un niveau planétaire. Je me suis donc enrichi des autres, sans rien produire d'original.  

Pourtant, même quand j'allais au loin, j'avais déjà idée de ne pas me contenter de relations humaines superficielles. Au Maroc, je me suis installé pour 3 semaines à Fez au lieu de faire comme tous les autres jeunes voyageurs de mon âge qui sautaient d'étapes en étapes, traversant l'Europe et une partie de l'Afrique en un été. J'étais déjà persuadé que je comprendrerai mieux  (nda : il faudrait un subjonctif futur qui n'existe pas en français) le pays en restant sur place.

Des décennies après, j'ai visité mon département, ce qui m'a entraîné aux observations le plus profondes qui soient. Depuis, je suis convaincu qu'un inventeur, un homme cultivé ou un voyageur, doit faire des efforts pour ouvrir les yeux sur son environnement proche (Heureux qui comme Ullysse... la la la) et d'ailleurs à titre personnel, tel une Viviane Maier de la campagne, je ne cesse d'y déceler des perles que je n'aurais jamais trouvées ou produites autre part. La culture humaine s'épanouit dans des détails perdus au milieu de nulle part, à côté de chez soi, dans les difficultés propres à un milieu particulier. Il ne faut surtout pas la quêter trop loin, surtout pas là où l'herbe semble plus verte, au risque de devoir recommencer à zéro pour rien, ou de connaître un bonheur superficiel. L'humanité n'a cessé de coloniser de nouveaux territoires, certes, mais il a toujours été apprécié qu'elle le fît doucement.

Le fait est que les écosystèmes les plus riches sont ceux des îles, coupées de tout. L'humanité, mais aussi les plantes et les animaux, ne sont pas si inventifs que prisonniers à l'intérieur de strictes frontières. Hier, j'ai pu toucher du doigt le sentiment qu'ont dû éprouver dans leur cellule tous les martyres torturés et morts au nom de leur foi dans la joie, prisonniers politiques tel que le pasteur Wurmbrand. Ou encore l'état d'esprit qui anime ces paraplégiques heureux. Je suis enchaîné à un pays qui meurt, pauvre, délabré, pollué, sans religion, mais l'infini s'est ouvert à moi, parce que loin des paillettes, j'ai dirigé mon regard avec exactitude. 

Telle est la différence immémoriale entre nomade et sédentaire. Le premier s'adapte à tout, survit à tout, mais il n'est rien. Le second fait progresser l'humanité alors qu'il se meurt en dehors de son écosystème. Depuis des siècles, l'esprit nomade a pris le dessus sur nous. Nous vivons spirituellement à crédit, et notre environnement aussi. Il serait peut-être temps de retrouver une forme d'enracinement, de diversité, en lieu et place de cet immense gloubiboulga mondialiste ? 

Car voyez beaucoup de gens, beaucoup de paysages, vous ne verrez plus rien du tout. Voyager s'entend d'une autre manière. 

 

vibrac bulles gros planmin

(Ca, c'est un détail de la berge).

La culture prospère loin de tout, chez les enfermés, les prisonniers, les personnes en marge du monde. Récupérée par la masse, elle se fossilise. Il est donc inutile de chercher la vérité dans un spectacle planétaire, style eurovision. Ou bien là aussi, il faut voir au-delà des apparences, les détails qui échappent au commun. Bien difficile au milieu d'une telle dépense d'effets spécieux. Idem professionnellement. Dans un documentaire, je me rappelle un contrôleur de train péruvien qui posait comme préalable à la vie, d'aimer son métier, aussi insignifiant soit-il. Il avait compris.

La vérité est toujours proche, mais nous en sommes détournés pas le séducteur, par nos penchants mauvais. L'un de nos pires défaut actuel, c'est l'activisme, celui qui nous fera renoncer à lire un document intéressant parce qu'il est trop long, ou qui nous incite à ne jamais nous arrêter, même en vacances, parce que soit disant, nous avons plus important à faire. C'est faux. En vérité, quand nous ne savons pas nous arrêter, nous avons peur de nous ennuyer, et d'être déçu par notre manque de profondeur. Alors, nous appréhendons la vie en surface, évitant le dangereux tête à tête.

Ce papillonnage est particulièrement présent dans notre monde où les sollicitations sont devenus folles à cause de la multiplication des moyens de communication qui donne l'illusion de la culture. Les commerçants, les gouvernants, les lobbys cherchent à attirer notre attention pour recueillir nos suffrages. Et quand ils ne sont pas assez écoutés, ils organisent la censure. Voilà pourquoi Jésus a dû chasser les marchands du temple : ils brouillaient le message sacré et l'empêchaient d'arriver aux oreilles de qui de droit. 

Pour éviter cet écueil, je traque le superflu dans ma vie, les images et les lectures qui me détournent de mes nobles penchants, je cultive mes passions, et je dois l'avouer, j'ai un a priori très négatif quant aux publicités, aux journaux télévisés et autres discours de politiciens. Quant à nos grands centres universitaires, nos grandes bibliothèques et autres centres médiatiques, je trouve qu'ils cachent la misère. Il vaudrait mieux en avoir 10 fois moins, mais de plus grande qualité.

Un seul exemple qui me tient particulièrement à coeur : le peu d'ouvrages en langue française pointus numérisés, l'ont été, pour la plupart, par une entreprise étrangère, "google", à partir de document de bibliothèques universitaires.... américaines. Bien entendu, la dite entreprise a fini par en autoriser l'accès à ses utilisateurs seuls, ce qui me force à participer à un type de mondialisation qui ne me convient pas si je veux me cultiver. Dans le même temps, le site étatique de la bibliothèque de France, Gallica, est impraticable et lacunaire. Véhiculant le mirage d'un accès à la culture facilité par l'état, cette erreur nous a fait perdre plusieurs décennies en termes d'intelligence, et quelques centaines de millions d'euros au passage. 

Pour aller encore plus loin dans l'exemple, entreprise américaine ou pas, je n'arrive pas à trouver une anthologie des poèmes de Paul Fort à des prix décents, puisqu'ils n'ont pas été numérisés, ni réédités, alors que la plupart des écrits de cet auteur très connu, sont tombés dans le domaine public depuis bien longtemps. Beaucoup d'écoles élémentaires portent le nom de "Paul Fort", et célèbrent le personnage, tandis que dans le même temps, à l'heure d'internet, ses écrits restent peu accessibles. Voilà comment l'état cache la misère. Un pays n'avancera jamais que par les passionnés qui l'animent, pas à coups de subventions.

Dernièrement, l'infirmier de ma grand-mère nous a expliqué, lui, qu'il ne voulait surtout pas avoir de passions dans la vie, car il ne voulait pas risquer de s'enfermer. D'un certain point de vue, il a raison. Pas de pire contrainte qu'une passion. Mais comme dans une île, l'enfermement permet la création. Les plus grands aventuriers sont moines quand ils réussissent à rester enthousiastes. Prisonniers, ils explorent alors l'âme humaine dans ce qu'elle a de plus profond, tout comme n'importe quel passionné s'entiche d'un aspect particulier de la création. D'ailleurs, explorer l'âme humaine et la création, ne sont-ils pas des moyens corollaires à la fréquentation de Dieu ?  

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