En ce jour de rentrée scolaire, je suis d'avis que les enfants auraient mieux fait d'être ici qu'à l'intérieur de leurs murs. A coup sûr, ils en auraient appris un peu plus sur la vie qu'à recevoir toute autre leçon de morale.

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Alors que j’arrive sur mon lieu de baignade du lundi, la troupe des nouveaux vieux du village est inhabituellement debout, près du parapet, à observer les flots du fleuve au milieu desquels un dôme incongru flotte. Chacun y va de ses hypothèses sur l’origine de la bête. Qui sait ? Peut-être un humain assassiné dont la tragique fin les sauvera une fois de leur ronron quotidien, comme dans les séries américaines, même si chacun se garde bien d’exprimer tout haut un tel souhait. Le plus entreprenant d’entre eux fait ses observations à la jumelle et les cède alternativement à ses amis curieux en jouissant du privilège d’être bien outillé.

Je me gare à côté d’eux, je leur dis bonjour sommairement, et me prépare à la baignade quand le grand gaillard au teint rouge et aux jumelles m’interpelle pour m’inciter à aller voir ce qui se passe, essayant de flatter mon égo d’aventurier. Je le raille un peu, mais me dirige tout de même en direction de l’animal avec mon masque et mon tubas. Je m’approche, commence à tirer ce corps flottant vers le barrage, tente de le sortir de l’eau cependant qu’il m’échappe entraîné par le courant de la brèche par où le fleuve se déleste de son trop plein.

Heureusement nous sommes en pleine saison sèche, particulièrement sèche, et le corps se coince entre les rochers. Le cou et le ventre de ce chevreuil semblent avoir été mystérieusement rongés. Toutefois, ce n’est pas un être humain, et c’est déjà ça. Mais il n’en faut pas plus à la demoiselle de 30 ans, 20m en contrebas, qui se la jouait nature et découverte en lançant des baballes à son chien chien dans l'eau, accompagnée par sa maman, pour prendre ses jambes à son cou.

Je ne m’en formalise pas, rattrape le chevreuil, dégage ses cornes, et le tire le long du reste du barrage qui est à sec. En me rapprochant de la berge, la réaction du groupe de vieux est identique à celle des femmes. Une sorte de répulsion instinctive. Je le remonte le long des rochers puis pose l’animal à leurs pieds. Enfin aux pieds de ceux qui ne se sont pas déjà écartés. Puis je repars me baigner quand l’odeur pestilentielle arrive jusqu’à leurs narines et leur fait pousser un cri. Les 3 derniers courageux sursautent en arrière et s’éloignent à jamais de l’animal, rejoignant le reste du groupe. Le retour au réel a fait son œuvre. Leur curiosité s’est muée en dégoût. Quant à moi, je poursuis ma baignade, for satisfait que l’eau ne soit plus parfumée par un tel mammifère.

Une demi-heure après, je ressors, détendu. Je remonte sur la berge. L’animal est toujours là, gardien zélé de mon vélo. Les vieux se sont rassis sur leur banc. Ils me regardent étrangement. Un gros bonhomme libidineux de 35 ans prend des photos du paysage. Il n'a même pas remarqué le paquet de viande à ses pieds, de l’autre côté de la balustrade en bois. Il jouit de la scène. Le couple de vieux parisiens qui l’accompagne ou qu'il accompagne, a lui remarqué le corps allongé et commence à me poser des questions : « Qu’est-ce que c’est ? » « Un chevreuil. » « Ca existe encore ? » Et oui, quelques espèces ont survécu aux décisions prises dans les villes. Cette fois, notre bon gros à l’oeil bovin s’entend. Il recule en contenant la panique qui l’envahit. Mais le vent tourne beaucoup cette journée là. Et voilà qu’il nous ramène l’odeur. L’instinct reprend le dessus une nouvelle fois, et tous nos curieux cèdent et s’écartent brusquement de bambi pour aller philosopher ailleurs. Je me rhabille tranquillement et repars.

Il n’est pas étonnant qu’un nombre conséquent de personnes ne veuille plus manger de viande dans notre société. Ceux-là sont ignorants de la nature. Ils ne veulent plus lui appartenir. Quand un Basque arrache la tête d’une poule avec ses dents lors d’une soirée bien arrosée, que la vidéo circule sur les réseaux, voilà toute la France qui s’émeut. L’acte ne brille certes pas par son intelligence. Mais qu’attend-t-on d’un rugbyman un soir de fête ? Personnellement, je ne crois pas que les internautes se soient émus du sort de la bête. Ils ont plutôt été mis, non pas en face de la brutalité d’un homme, mais devant l’évidence de leur sort de mortels. Les scandalisés n’ont pas vu la poule, ils se sont vus mourir brutalement, idée qui leur est insupportable, eux qui se glorifient pourtant d’être plus évolués que la moyenne en ayant écarté l’idée de religion de leur quotidien. Evolués ? Privés de l'idée de mort et glorifiant abstraitement la nature, ils se confondent avec la poule, comme ma petite voisine se confond avec son cheval. Déjà végans, ils ont renoncé à leur humanité.

Avant de partir, j’ai bien observé notre écorché. Ce chevreuil m’était sympathique, et même mort, je le trouvais assez beau. J’ai pris des photos pour partager avec vous mon émoi. Le banc des vieux a redoublé d’interrogations. Comme je l’ai dit à mon bon gros au regard éberlué, j’espère que la carcasse va sécher sur place afin d’offrir un spectacle des plus rustiques. A mon avis, lui et tous ceux qui auraient voulu que les autorités fassent quelque chose pour l’enlever de là, doivent avoir bien cauchemardé cette nuit. Ce fût pour eux, un étrange retour au réel. La nature c’est aussi ça.

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C'est aussi ça la nature

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