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Au fil de mes abandons et de mes (nobles) révoltes
29 juillet 2019

(Trou noir #1) Emma, parisienne indépendante.

Voilà le premier portrait de ma série "trous noirs" et pour bien commencer, son prénom n’est pas Emma. Dans nos campagnes charentaises, l’identité choisie par les parents n’était jamais reprise par l’entourage. Les proches rebaptisaient le petit au gré de ce qui leur passait par l’esprit. Un prénom d’usage et un surnom finissaient par faire l’unanimité, eu égard au caractère de la personne concernée et à l’investissement affectif dont elle faisait l’objet. Son prénom d’origine était oublié.

 

J’ai gardé cette habitude, allez savoir pourquoi. Petit, je donnais des surnoms originaux à mes peluches, mais aussi à mes proches que j’affublais de mille sobriquets plus ou moins agréables à endosser (je ne vous dirai pas le pire que j’avais choisi pour ma petite sœur qui avait le don de m’agacer, ce serait trop injuste). Puis j’ai découvert que cette pratique s’était perpétuée dans d’autres milieux que celui de ma famille.

 

Mon moniteur d’auto école, m’avait surnommé « coco » à moitié inquiet que je m’en offusque, moitié hilare de sa trouvaille. Pour lui, j’étais un « coco » de première catégorie, une sorte de personnalité originale attendrissante. Au rugby, Benoît me surnomma « John John » et les autres joueurs ne me connurent plus que sous ce petit nom. Je commençais tard ce sport, sans avoir le physique de l’emploi, mais j’étais courageux et plein de bonne volonté, ce qui suscita cette dénomination étrange mélange de commun et d’exotique, qui répété deux fois avec l’accent américain, alliait raillerie et respectabilité. Choix d’autant plus bizarre que la plupart de mes lointains aïeux du côté paternel s’appelaient « Jean », je l’appris plus tard.

 

Pour tout dire, je ne me souviens plus du vrai prénom d’Emma et je n’ai pas envie de le retrouver même si j’en ai les moyens. L’identité des trous noirs ne leur appartient pas, malgré l’usage. Emma est une Emma. Ce prénom en dit plus long que son prénom de baptême choisi par ses parents. Emma a aimé, même si elle a mal aimé, et que cet amour conjugué au passé n’est qu’un lointain souvenir. Ainsi, durant toute cette série de portraits, je n’utiliserai jamais le vrai prénom de la personne concernée. J’utiliserai le prénom qu’elle aurait dû avoir.

 

emma

 

 

J’ai rencontré Emma lors d’une soirée d’anniversaire à une époque où j’étais encore assez jeune pour avoir des amis qui fêtent leur anniversaire. Elle était mignonne malgré sa poitrine menue. Ses hanches larges avaient vocation à procréer. Elle avait le regard pétillant. Mais comme de nombreuses working girls modernes, Emma avait un esprit et un corps dissocié. Je ne peux pas dire le nombre de femmes de ce type que j’ai rencontré, mais elles sont très nombreuses dans notre société. Celles-ci ont adhéré à une éducation qui les rend stériles et Emma en était. D’un côté, je voyais bien qu’elle cherchait l’amour. De l’autre, là encore comme toutes ces femmes incapables d’engagement, elle fuyait la rencontre, en attente d’un désir fou masculin qui la soulagerait de prendre en main ses responsabilités. Bref, elle me plaisait, je lui plaisais, nous étions célibataires, mais elle n’assumait pas ses désirs. Elle était immature. Il ne s’est donc rien passé entre elle et moi durant cette soirée. Bien que libre, elle n’a pas osé faire un pas vers moi, ni se donner, ni envisager une relation naissante et j’en ai gardé un arrière goût amer, comme toujours en ce genre d’occasion, ne sachant pas où j’avais fauté. Or je n’avais pas fauté.

 

Presqu’un an après coup pour coup, Joackim m’a téléphoné. Il m’a donné des nouvelles d’Emma et j’ai tout d’abord cru à une mauvaise blague de sa part : elle était morte dans l'incendie de son immeuble. Le feu symbolise l’activité sexuelle dans la psyché humaine, ici dévorante. Qu’elle meurt ainsi mettait en image toutes les incohérences et toutes les frustrations que nous avions ressenti chez elle, mon ami et moi. Car à la suite de cette soirée, nous étions restés interloqués par son attitude. Je lui avais dit qu’elle avait fui, il m’avait suspecté de ne pas en avoir fait assez.

 

La survenue de ce fait divers nous troublait donc, d'ailleurs plus qu’il n’aurait dû le faire, puisqu'elle n'appartenait pas à notre cercle restreint d'amis. Elle était morte certes, mais nous ne l'avions connu que quelques heures. De surcroît, Joackim est plutôt d'un naturel flegmatique. Ici, il était plus circonspect qu'il n'aurait dû l'être, et j'en compris la raison quand il entra dans les détails. En effet, pour l'occasion, il avait appris qu’elle couchait régulièrement avec son voisin marié et que tel était la raison de son manque d’entrain l’année précédente avec moi. Ainsi, au lieu de profiter de son existence, elle avait doublement vécu par procuration, dans ses rencontres, dans sa vie de tous les jours en alimentant une relation impossible, qui se serait mal terminée, de toutes les manières.

 

Avec plusieurs années de recul, j'éprouve un sentiment identique à celui qui a été le mien en apprenant la nouvelle. Malgré le temps, je n’ai pas peur de dire qu’Emma a fini pitoyablement, comme elle a vécu, grillée telle une vieille saucisse laissée trop longtemps sur le barbecue, guidée en cela par son désir de baiser, sans s’engager, foulant au passage les liens sacrés du mariage, ne respectant rien en elle, ni chez les autres, surtout pas l’adulte qu’elle aurait dû devenir au milieu d’une famille stable. Il est seulement étonnant que sa mort soit survenue si tôt, en forme de finale de feu d’artifice.

 

Vous me trouverez dur, mais je n’arrive pas à donner un sens à son existence autre qu’en forme d’avertissement pour toutes les personnes qui seraient tentées de suivre leurs pulsions régressives. Emma n’a certainement pas eu le temps de se repentir, morte inconsciente, étouffée par des fumées qui ont dû avoir un avant goût de flammes de l’enfer pour elle, l’enfer de s’être crue indigne d’être aimée par Dieu. En tout cas, elle représente dans mon esprit, le plus beau souvenir de vie gâchée.

 

Parfois je m’imagine qu'il n'est pas possible que  le hasard ait pu procéder à un dénouement aussi emblématique de la vie qu’elle a menée. Je me dis que logiquement, le voisin indigne a dû l’éliminer pour se protéger d’une grossesse qui mettait en danger la seule relation qui comptait à ses yeux, celle avec sa légitime épouse. Ou bien, je me dis qu’elle s’est suicidée, mettant un terme de manière symbolique à des souffrances qui l’avait envahie.

 

Mais selon les dernières informations que je possède, il s’agit bien d’un minable et simple fait divers d’origine accidentelle. Emma n’aura pas même été responsable de sa mort, que ce soit directement ou indirectement. Elle aura vécu dans un petit appartement parisien de 20 m², alternant métro puant, boulot de merde, tromperie dodo, emprunte de l’unique espérance de se faire engrosser par un homme avec qui une relation sérieuse était inenvisageable. Elle aura donné sa fidélité en tant que seconde femme, second choix caché à un homme qui l’aurait détestée comme épouse légitime au regard de ce qu’elle avait pu accepter de lui avant.

 

Combien d’hommes sérieux a-t-elle pu repousser ? L’histoire ne le dit pas. J’ai été l’un de ceux-là, mais mignonne comme elle l’était, il est certain que je ne fus pas le seul.

 

Avec l'expérience, et contre toute attente, la vie fait bien les choses. Les années passant, j’ai rencontré pas mal d’Emma. Mal engagées, elles se sont mises dans des situations compliquées. Et je ne crois pas qu’Emma était taillée pour les vivre. Elle n’aurait pas accepté de devenir vieille, laide et seule ou mal accompagnée, alors que ses choix de vie l’y conduisaient.

 

Souvent, des évènements qui nous apparaissent comme le comble du malheur, ne sont que des moindres mal. Si tout n’est pas bien qui finit bien, je suis d’avis que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Emma aurait mal vécu la suite, voire ne l’aurait pas du tout supportée. Quant à moi, qu’aurais-je fait d’une Emma qui vivait de tromperie et de mensonges, engluée dans son amour pour un quotidien facile, médiocre et rassurant ? Pas grand-chose.

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