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Au fil de mes abandons et de mes (nobles) révoltes
22 janvier 2020

Mon très cher inspecteur des impôts

Ne m’en voulez pas si je réponds bien après vos vœux de début janvier, des affaires sérieuses m’ont accaparé jusque là. Mais ne voilà-t-il pas, que j’ai une demi-heure de libre, et j’ai tout de suite pensé à vous en faire profiter.

Par retour de courrier, je tenais donc à vous transmettre également mes souhaits de bonheur les plus appuyés. Je connais la pudeur qui est la vôtre. Vous avez laissé passer les fêtes pour m’écrire. Cependant dès le 2 janvier, n’y tenant plus, vous avez fait fi de la trêve des confiseurs décidée par votre hiérarchie, vous avez pris votre plus belle plume et m’avez gratifié d’un message que je n’oublierai jamais.

Gêné, vous n’avez osé exprimer de manière explicite les sentiments intimes qui nous lient. Les mots vous ont manqué. Comme je vous comprends. Vous travaillez dur pour récupérer le fruit du labeur des autres, surtout des personnes qui sont en difficulté. Et en retour, jamais un merci, jamais un mot tendre pour l’honnête travailleur que vous êtes sans qui la machine ne tournerait plus très rond, vous, l'impayable défendeur du droit et de la justice. Tous ces gens comprennent-ils que ce n'est pas vous qui votez les lois ! Non, ils ergotent quand il s'agit de mettre la main à la poche et maugréent au moment d'insérer le bulletin de vote dans l'urne. Ils se disent impuissants, plus que vous. Si ce n'est pas de la roublardise ça !

Dans votre position, je sais combien il est difficile d'user de mots inhabituels à votre profession. Les seuls que l'on vous a appris sont "avis à tiers détenteur", "saisie sur salaire", "vente des biens", des mots bien durs à vrai dire. La tendresse, personne ne vous en a parlé. Vous en avez été privé juste après le concours d'entrée au trésor publique. Dès lors, comment votre correspondance ne s'en ressentirait-elle pas ?

Je sais tout cela. Je sais aussi le courage qu'il vous a fallu pour m’envoyer une prise d’hypothèque sur ma maison le lendemain du nouvel an, en misant sur ma miséricorde. La bouteille de champagne était-elle bouchonnée ? Le foi gras rempli d’eau ? Je n'étais pas là pour le déplorer. Cependant, vous saviez que je comprendrais cet acte pour ce qu'il est, un mouvement du coeur. Vous saviez que je ne vous tiendrais pas rigueur de votre repas raté du réveillon, que mon seul bonheur, c'était de vous voir revenir de ces fêtes de Noël ragaillardi à l'idée de reprendre votre activité, avec l’ardeur d‘un missionnaire en terres étrangères, plein de bonnes intentions, que dis-je, rempli des bonnes résolutions en cette nouvelle année. Et surtout, convaincu de bien faire. Vous ne lâcherez rien, comme d'habitude, et sachez que ce n’est pas moi qui aura les moyens de vous en faire reproches. 

Connaissant votre position, je vous donne entièrement raison. Nos impôts, c’est votre salaire. Sans vous, l’honnête élu ne saurait comment faire, et d’ailleurs, vous ne sauriez comment faire non plus. A bien y réfléchir, cette dépendance affective entre vous et notre élite, a le don de m'émouvoir, encore plus que notre relation languissante. Vous ne pouvez pas faire autrement, comme prisonnier de votre propre vie, de vos propres choix, pauvre prolétaire régalant de puissants idiots et dépendant des miettes qu'ils distribuent au hasard. Qu’un misérable comme moi ou comme un autre, puisse refuser cette course à l'échalotte, et se contenter de rien, pour peu qu'il ne lui en soit fait reproche, cela dérange votre ordre intérieur. Il vous faut le poursuivre, le châtier, le remettre dans une humanité digne de votre conception du monde, en lui reprenant de votre main droite et fière, ce que notre gouvernement lui donne sous caution, de sa main gauche.

Ô, je ne me permettrais aucune allusion politique. Comment ne pourriez-vous pas voter socialiste ? Votre drame, croyez-le bien, je le comprends à fond. C’est celui de la nature humaine, et de sa propension à vivre enchaînée, et à haïr celui qui pourrait le remettre en question. Vous voudriez être moi, je ne veux pas être vous. Car je le sais, vous rêvez d’être à ma place, vivant dans le froid, satisfait des quelques subsides qu’il reçoit, comblé, libre des contraintes absurdes qui sont les vôtres parce que j’ai choisi la frugalité. Votre haine et votre jalousie vous permettent de tenir le coup, votre imagination débordante concernant mes supposés abus aussi.

Cependant méfiez-vous de ce genre de sentiment, ils pourraient vous emporter. Je vous le dis en tant qu’ami. Il est une chose d’aimer son métier et de tout faire pour l’accomplir de la manière la plus professionnelle qui soit. Il en est une autre d’abuser de sa position pour combler les frustrations ou les peurs d’une vie entière. Vous commencez peut-être à le comprendre, vos amis et vos ennemis ne sont pas là où vous l’imaginez. Je suis certes votre débiteur, mais cela ne m’empêche pas d’être votre protecteur aussi. Et je vous parle en tant que tel : prenez soin du bien le plus précieux qui vous ait été donné par Dieu : votre âme. Ne la confiez pas à un plus haut placé que vous dans la hiérarchie administrative, car lui-même la tient d’un autre, qui la tient d’un autre, aucun d’entre eux ne s’appartenant.

Mais me voilà rendu à des considérations bien sérieuses, moi qui voulais juste que vous vous détendiez un peu. Allons oublions toutes les bienséances et souhaitons-nous réciproquement la prospérité, l’un pour l’autre, l’une de celle que nous conserverons jusqu’après notre mort. Que vous ne soyez pas trop hanté par le haut niveau des dépenses publiques. Que votre salaire vous comble. Que votre peur de l’avenir s’évanouisse. Que vous vous sentiez à votre place dans la société sans avoir à attaquer celle des autres, surtout des plus misérables. Que vous deveniez fort ou ingénieux face au mal. Et surtout, pardonnez à tous les pauvres administrés malhonnêtes de mon espèce qui ont le malheur de voir leur intérêt ailleurs que dans celui de l’état. Leurs raisons valent les vôtres, parfois même plus. Joyeuse année mon ami.

impot

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